Créé en 2019 pour la Scala de Milan sur le chef d’œuvre romantique de Franz Schubert de 1827 et les poèmes de Wilhelm Müller, le ballet Winterreise (voyage en hiver) de Preljocaj retranscrit dans un ballet en noir et blanc avec des nuances incandescentes la mélancolie de l’œuvre éponyme.

Emergeant d’une « houille » noire – idée intéressante de Constance Guisset – comme d’un tombeau, les danseurs ouvrent le ballet, découpé en vingt-quatre Lieder et autant de tableaux par le chorégraphe, par une danse lente et onirique. Dans ce semi-obscur hivernal, la voix chaude et profonde de baryton basse de Thomas Tatzl et le piano-forte James Vaughan incarnent avec retenue un narrateur délaissé par sa bien-aimée tandis que les danseurs évoluent sur des pas qui évoquent tour à tour l’amour, la perte et le suicide au ralenti. Les pas de deux – symbole de l’amour perdu – disparaissent vite pour laisser la place aux scènes de groupe d’où se détachent régulièrement des êtres profondément seuls, dans des positions parfois grotesques. Un ballet poétique et sombre qui, à l’exception du tableau avec les ricanements, tient du sublime. L’influence de Jiri Kylian, et notamment de son ballet Bella Figura (1995) est palpable lorsque les danseurs évoluent dans leurs longues jupes noires. Le voyage des danseurs est dominé par le noir, qui se teinte parfois de blanc et de rouge, comme de pâles lueurs d’espoir tandis que les jeux de lumière sur le sol donnent l’illusion d’une neige sale sur laquelle les danseurs évoluent vers leur dernier voyage.
On retrouve les thèmes chers au chorégraphe: les rapports parfois compliqués et violents entre hommes et femmes, le passage de genre du masculin au féminin, l’absurdité de certaines situations voire de la vie elle-même, l’amour, la souffrance et la mort entrevue parfois comme une délivrance exquise.
Un ballet sublime à la profondeur romantique fidèle au chef d’œuvre de Schubert.
Anne-Laure FAUBERT
Théâtre des Champs Elysées – samedi 29 janvier 2022