Le ballet du Capitole sous le signe de la poésie mélancolique

Vendredi 24 octobre 2014 – Toulouse –  Théâtre du Capitole

Les Mirages de Serge Lifar féerie chorégraphique en un acte et deux tableaux créée par le Ballet de l’Opéra de Paris le 15 décembre 1947 au Palais Garnier sur une musique d’Henri Sauguet; entrée au répertoire du Ballet du Capitole

Les forains de Roland Petit créé par les Ballets des Champs-Elysées le 2 mars 1945 au théâtre des Champs-Elysées sur une musique d’Henri Sauguet; entrée au répertoire du Ballet du Capitole

Ballet du Capitole – Orchestre national du Capitole, Philippe Béran direction musicale

rideau Capitole

Il est rare d’avoir une soirée consacrée à des ballets conçus dans une même période et dont la musique est confiée au même compositeur. On doit cette belle soirée à Kader Belarbi, ancienne étoile de l’Opéra de Paris, et directeur de la danse du Ballet du Capitole.

Il se dégageait vendredi soir une forte cohérence de cette soirée teintée de mélancolie. Un jeune homme pénètre dans la demeure de la Reine de la Nuit, suivi par son ombre dans Les mirages. Les forains viennent et repartent vers l’inconnu sans que leur numéro de cirque n’ait été rémunéré par les spectateurs. Fragilité de la vie et insécurité du monde du spectacle.

Les mirages m’ont fait penser à Phèdre du même chorégraphe : langage du ballet néo-classique narratif : bras arrondis, sauts, relâché de certaines poses… et des costumes à la limite du ridicule – et du racisme pour les personnages des Noirs- qui frisent l’opéra bouffe. Le ballet porte bien son nom puisque les différentes personnes rencontrés par le jeune homme – chimère, Africains, paysans…- s’avèrent être des ombres. On retrouve l’influence de l’école russe avec notamment l’utilisation des pas de danse de caractère. On peut également s’interroger sur la dimension historique de ce ballet créé deux ans après la deuxième guerre mondiale pendant laquelle Lifar collabora avec l’occupant. Au final, lorsque sonne le glas de la guerre il se retrouve seul face à ses démons et doit s’exiler à Monaco. Tout comme le jeune homme du Ballet se retrouve seul avec son ombre qu’il finit par accepter après l’avoir fui.

Les forains - Anne-Laure Graf

Dans Les forains, on sent la tristesse dès l’entrée des saltimbanques. J’ai alors repensé à Nicolas Le Riche qui interprétait cette scène lors de sa soirée d’adieux en juillet (lire ici). Les pas des danseurs sont lourds et on pense aux peintures de Gustave Doré ou de Picasso sur la précarité des enfants de la balle. Le spectacle provoque une belle mise en abyme et nous assistons au numéro des sœurs siamoises, du clown et du magicien. Las les spectateurs partent sans avoir payé et on s’interroge sur le devenir de la petite fille pour qui s’inquiètent ses parents.

Le ballet du Capitole, s’il est l’un des plus anciens de France, est aussi actuellement l’un des plus cosmopolites avec 14 nationalités et l’absence d’école de danse. On aurait pu craindre une hétérogénéité des styles. Il n’en est rien. Danse et théâtre sont très bien maîtrisés.

On se retrouve à la sortie un peu groggy sur la place du Capitole, songeant aux non-dits des deux ballets…

 

 

6 réflexions sur “Le ballet du Capitole sous le signe de la poésie mélancolique

  1. Juste une petite précision. Le ballet des Mirages a certes été créé en 1947 mais sa générale a eu lieu en mai 44. A ce moment là, Lifar ne pouvait imaginer ce qui allait lui arriver au moment de l’épuration et faire des parallèles avec le destin du Jeune homme. Ceci est très bien expliqué par Yvette Chauviré (la créatrice de l’Ombre) dans le film de Dominique Delouche « Comme les Oiseaux » centré sur la personnalité de Monique Loudières.

      1. Il existe un extrait de cette répétition sur Youtube mais c’est hélas de très mauvaise qualité. Ca pixelise et il y a un décalage avec le son.
        Voici néanmoins le lien

        Il existe un coffret des films de Delouche avec les grandes ballerines. Celui sur Chauviré est un vrai chef-d’oeuvre.

        Par ailleurs, j’ai fait un anachronisme. La générale dont je parlais a bien sûr eu lieu en Juillet 44, au moment des débarquements et pas en mai 😉

        1. Merci pour les liens! Reste à savoir lors de la Générale ce que Lifar avait dans la tête…J’ai interrogé fin juin quelques danseurs de l’Opéra de Paris pour savoir s’il y avait un endroit ou étaient conservées les chorégraphies originales avec les annotations des chorégraphes. J’avais cité à ce moment là la présence de l’enfant /page dans le Roméo et Juliette de Noureev (importance de l’Innocent dans la culture russe)…
          Je serai à Toulouse en février pour La Reine morte (une de mes pièces de théâtre préférées) de Kader Belarbi (que j’apprécie énormément).

          1. Sans doute de renouveler l’image du poète qui se fourvoie sans reconnaître que sa muse est en lui. Les ballets de Lifar de la période de l’occupation ont soigneusement évité les thèmes politiques. On lui a reproché « Oriane et le prince d’Amour », un ballet de 1938 parce que le thème était issu de la littérature courtoise allemande et que le compositeur, Florian Shmidt était apprécié d’Hitler.

            James a vu la Reine Morte à la création et l’a beaucoup appréciée. On fera sans doute un post à ce propos même si nous ne sommes pas sûrs de faire le voyage pour la reprise.

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