Baudelaire la modernité mélancolique…

« Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur, et plein de mélancolie. » In Les peintre de la vie moderne

Charles Baudelaire (1821-1867) disait que « la poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre monde. » Il considérait également que la mélancolie était toujours « inséparable du sentiment du beau ». Pour le bicentenaire de la naissance de l’artiste, salué plus tard par Rimbaud comme « le premier voyant », roi des poètes », la Bibliothèque nationale de France plonge le visiteur, par l’exposition Baudelaire la modernité mélancolique, au cœur de sa création poétique et de sa modernité, invitant à explorer le rôle capital qu’y joua l’expérience de la mélancolie. Réunissant près de 200 pièces – manuscrits, éditions imprimées, œuvres graphiques et picturales – l’exposition dresse le portrait et le déchirement intérieur de Charles Baudelaire, dont le recueil Les fleurs du mal ont, par leur modernité, révolutionné la poésie française.

Charles Baudelaire par Nadar
portrait dit « au fauteuil Louis XIII », vers février 1855
© RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / HervéLewandowski

L’exposition, divisée en trois axes – la mélancolie du non-lieu, l’image fantôme et la déchirure du moi allie littérature et image puisque chacune des ces parties est introduite par une citation du poète et une image. Elle est également l’occasion, lors du prologue, de rappeler l’importance du personnage de Hamlet dans la vision du monde de Baudelaire qui possédait, chez lui, jeune, l’ensemble des 13 lithographies de Delacroix sur l’œuvre de Shakespeare.

Le sentiment de vide chez Baudelaire trouve peut-être ses racines avec le décès de son père alors qu’il était âgé de 6 ans et qu’un portrait – jamais prêté jusqu’alors – et qu’il gardait toujours près de lui, illustre le début de l’exposition. Un père qui, à sa manière, l’initia à l’art car le poète garda le souvenir d’un appartement rempli d’objets d’art. Les estampes – qu’appréciait beaucoup le poète – rythment l’exposition et montrent le sentiment du vide qui l’habite. S’il participe brièvement à la Révolution de 1848, Baudelaire est un moderne anti-moderne. La question du Mal – et de Satan – hante Les fleurs du Mal et l’artiste, qui s’interroge sur notre part d’ombre. Les figures du saltimbanque et de l’errance parcourent son œuvre. Baudelaire considère que les vrais voyageurs partent pour partir et non pour arriver. Le fumeur d’opium et la lesbienne reviennent fréquemment dans son œuvre – Les lesbiennes était d’ailleurs le premier titre que Baudelaire souhait donner aux Fleurs du mal. L’Albatros et Le voyage ne sont intégrés que dans la deuxième édition des Fleurs du Mal. Ces poèmes sont envoyés uniquement à ses amis dont Flaubert qui lui suggère de rajouter une troisième strophe.

Feuille d’épreuve corrigée de la page de titre de l’édition originale des Fleurs du Mal, 1857 BnF, Réserve des livres rares. © BnF

En 1841, soucieux de le voir puiser « ses inspirations à de meilleurs sources que les égouts de Paris », le général Aupick impose à son beau-fils un voyage dans les mers du Sud. Il ne va pas plus loin que les Mascareignes (île de la Réunion et île Maurice) et l’exotisme de Baudelaire est autant nourri de lectures, de la figure de la maitresse Jeanne Duval, métisse, que d’expériences vécues.

La mélancolie le saisit également lorsqu’il voit la disparition du vieux Paris au profit du Paris haussmannien. Sa maison natale est détruite lors des travaux ce qui renforce son sentiment d’exil. Avec le Spleen de Paris, Baudelaire soutient que la poésie en prose vient des grandes villes.

Fronstispice pour Les Épaves, Félicien Rops, 1866
BnF, dpt.des Estampes et de la photographie © BnF

La dernière partie de l’exposition invite à pénétrer au cœur de la mélancolie baudelairienne, dont le sentiment d’exil et la nostalgie du « paradis parfumé » ne sont encore que l’expression: dans son principe essentiel, la mélancolie de Baudelaire tient à une division interne du moi, à ce qu’il désigne en 1862, dans une lettre à sa mère, comme les « extraordinaires luttes de moi-même contre moi-même »: une étrangeté à soi sur laquelle se fonde l’étrangeté au monde er qui est celle des « êtres déchus, mais souffrant encore de leur noblesse. » La pensée baudelairienne de la mélancolie s’exprime comme conflit intérieur et source de beauté tout à la fois: élection d’un panthéon parmi les auteurs et artistes modernes, qui dessine une « grande école de la mélancolie »; héroïsation du dandy; réflexion sur le rire et la caricature, qui partage avec le dandysme un « caractère d’opposition et de révolte ».

C’est donc à un voyage littéraire et poétique que nous invite la BnF avec cette exposition « Baudelaire la modernité mélancolique ». Une exposition fouillée, profondément érudite et pourtant accessible à tout passionné des mots. Une exposition que j’ai beaucoup appréciée car au cœur de la création artistique d’un génie disparu trop tôt et dont les photos montrent le tourment.

Anne-Laure FAUBERT

Jusqu’au 13 février 2022

2 réflexions sur “Baudelaire la modernité mélancolique…

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