J’avoue qu’à la lecture de certaines critiques, j’avais failli rebrousser chemin, voire revendre ma place. On y parlait d’une mise en scène kitsch, de palmiers de plastique de mauvaise qualité, d’une Natalie Dessay surjouant son rôle… Bref, pas de quoi se réjouir…
Manon de Massenet reprend le livre Manon Lescaut de l’abbé Prévost que certains ont peut-être étudié comme moi au lycée. Des souvenirs assez lointains donc et j’y étais allée davantage pour Natalie Dessay, que j’avais appréciée l’an dernier dans Giulio Cesare et la mise en scène de Coline Serreau, découverte lors que j’étais étudiante dans une pièce de théâtre dans le 9° arrondissement.
La mise en scène surprend dès le début où nous sommes, non plus au XVIII°s mais dans les années 1980. Des personnages habillés en orange côtoient des livreurs apportant le dîner de l’auberge dans un caddie (sic) avant que trois punks, dont Lescaut (Franck Ferrari), n’apparaissent. Un minibus sorti des années 80 arrive, avec son lot de provinciales dont Manon. Une mise en scène étrange, où le couple Manon (Natalie Dessay) / des Grieux (Giuseppe Filianoti) relève un peu le niveau. Ce mélange de genre, de style et de costumes se poursuit tout au long de la pièce. Certains passages sont cependant charmants comme la petite mansarde où se sont réfugiés Manon et des Grieux alors que d’autres moments sont ridicules. Pêle-mêle je citerai : des défilés de mode en noir et blanc, Six hommes vêtus en SM – qui porteront par la suite le costume blanc des mafiosi – sur un fond de verrière de palmiers ( le Cours-la Reine) avec une foule habillée en orange, des femmes en costumes d’époque évoluant en patins à roulette dans l’église St Sulpice, une salle de jeux aux allures de cauchemars. Du coup quand les soldats du Roi interviennent pour emprisonner Manon, on se demande ce que ledit Roi vient faire au milieu de ces punks et débraillés… Quant au final où Manon déportée en Louisiane est à la fois accompagnée par un soldat romain et un soldat nazi… Heureusement, le couple principal sauve à plusieurs fois la pièce : duo à St Sulpice, mort de Manon…
Il m’arrive très rarement de partir au milieu d’une représentation et mercredi, je me suis demandée pourquoi je n’étais pas restée sur l’image de St Sulpice…
En effet, la description accablante de cet opéra saccagé est fort réaliste. Bastille décoit une fois de plus, une fois de trop peut-être. Moto, patins à roulette, SM, et j’en passe, se succèdent sur la scène d’un opéra bastille malade et mourrant de ridicule. En suivant cet esprit, Nicolas Joël devrait engager Quentin Tarantino comme metteur enscène pour revisiter le répertoire. Nathalie Dessay ne justifie pas ses cachets exhorbitants, de nombreuses chanteuses sans notoriété possèdent des timbres plus harmonieux qu’elle. Pour me changer les idées après avoir été victime de ce spectacle démoralisant, j’ai voulu voir ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique, à Montréal tout d’abord, où Hiromi Omura, encore elle, triomphe en interprétant Léonora dans Il Trovatore de Verdi, rôle dans lequel je cite la presse canadienne : » virtuose, elle vole la vedette et brille tellement qu’elle éclipse le ténor qui interprète le rôle titre de Manrico ». Soprano au planning chargé, Madame Omura qui était Norma à Lausanne en novembre 2011 a été comparée à Montserrat Caballé pour ses pianissimi et son legato long et soyeux. Elle sera Désémone à Toulon en mai, elle chantera la neuvième de Beethoven en juillet sur la place Stanislas à Nancy (où elle était déjà la comtesse Almaviva dans les Noces de Figaro de Mozart l’année dernière). Elle sera à Sidney et à Melbourne dans Butterfly pour 18 représentations de septembre à décembre 2012. Seules les plus grandes sopranos au monde occupent les rôles titres à Sidney. Aurons-nous la chance d’entendre prochainement cette voix réputée sublime à Bastille ? Ou bien est-ce Madame Omura qui refuse de chanter dans ces lieux en dégénerescence puisqu’elle chante ailleurs en France? Madame Hiromi Omura résidant à Paris lorsqu’elle n’est pas en tournée mondiale, c’est à dire plus de six mois par an, ne chante toujours pas dans la capitale à mon grand regret car je ne peux pas voyager loin pour l’entendre, j’irai peut-être à Toulon en Mai si j’arrive à trouver une place. Après Montréal, je suis allé voir du côté du Met de New-York où Roberto de Biaso, l’un des meilleurs ténors au monde se produit souvent et va encore éblouir le public américain par sa finesse, son goût et sa voix exercée. Si je n’ai pas encore eu la chance d’entendre la fameuse Hiromi Omura, j’ai eu le privilège d’entendre l’année dernière Roberto de Biaso dans le rôle de Rodolfo dans Luisa Miller où il ne nous a pas fait regretté Alvarez qu’il doublait ce soir là, car le célèbre ténor argentin, à l’instar de Nathalie Dessay récemment, s’était fait porté malade (c’est courant à Bastille). Pourquoi Roberto de Biaso, bien plus subtil que d’autres chanteurs ne se voit-il pas offrir un rôle titre à Bastille ? Mystère ! Joël Nicolas déteste sans doute le public et veut continuer à nous faire souffrir avec des chanteuses et chanteurs en fin de cycle. J’ai honte de notre opéra et j’envie les Montréalais qui ont pu voir à guichet fermé (2952 sièges, quatre représentations) une Léonora touchante à la voix soyeuse, alors que nous parisiens devont subir les caprices de personnes qui confondent opéras et comédies musicales, sopranos et chanteuses de cabarets.