Caravage à Rome, amis et ennemis : le rendez-vous de l’automne du musée Jacquemart André

Que les inconditionnels du Caravage – auxquels j’appartiens – se réjouissent ! Dix chefs d’œuvre du Caravage – dont sept jamais montrés en France – vous donnent rendez-vous au musée Jacquemart André jusqu’au 28 janvier 2019. Certes ceux accrochés dans les églises romaines ou à Malte n’ont pas fait le voyage comme le sublime triptyque consacré à Saint Matthieu de Saint Louis des Français à Rome, mais le magnifique Joueur de luth à la beauté androgyne de l’Ermitage est bien là, et vous dévisage de son air si mystérieux.
Le Joueur de luth de Caravage –  Photo: Anne-Laure Faubert
Né en 1571 et décédé en 1610, Michelangelo Merisi, dit Caravage, révolutionne la peinture italienne du XVII°s par son usage novateur du clair-obscur. Il est également devenu, en raison de sa vie romanesque, l’un des archétypes de l’artiste romantique et maudit, alors qu’il était en fait un artiste aisé, peignant ses domestiques, mais doté d’un mauvais caractère, d’où ses ennuis avec la justice. Ainsi, lorsqu’il quitte Rome en 1606 et arrive à Naples, les commandes affluent pour cet artiste reconnu, avant que sa condamnation ne se sache.
Judith et Holopherne- Saraceni – 1618 –  Photo: Anne-Laure Faubert
L’exposition du musée Jacquemart André est consacrée à sa période romaine, de 1592 à sa fuite en 1606 lorsqu’il tue Ranuccio Tomassoni et est condamné à mort. Comme les études récentes l’ont montré Caravage entretenait des relations étroites avec les cercles intellectuels romains de l’époque : collectionneurs, artistes, poètes, érudits. L’exposition débute avec la Judith décapitant Holopherne (vers 1600) de Caravage, mise en perspective avec les œuvres contemporaines sur ce thème. Novatrice par sa violence et sa composition, cette œuvre nous propose un drame observé de près. En effet, Judith était, avant cette œuvre, considérée comme l’icône de la justice. Elle est ici représentée comme une séductrice et le contraste est d’autant plus criant entre son meurtre, sa beauté, sa jeunesse et les rides de la vieille dame à sa droite.
Judith décapitant Holopherne – Caravage Photo: Anne-Laure Faubert
Cet intérêt pour la jeunesse et la vieillesse comme sujets indirects de ses tableaux se retrouve dans le magnifique Joueur de luth (1595-1596) au regard languide et à la chemise entrouverte, chantant un madrigal amoureux, symbole d’une peinture profane raffinée. Ce tableau est à l’origine d’une tradition de peintures représentant de jeunes chanteurs plus ou moins mélancoliques, chantant leurs peines d’amour comme les bergers de la poésie antique. Le jeune Saint Jean-Baptiste au bélier (1602) nous montre également une iconographie inhabituelle : non seulement ce n’est pas un mouton mais un bélier qui accompagne Jean-Baptiste, mais il est de surcroît représenté jeune.
Saint Jérôme écrivant, vers 1605 – Caravage Photo: Anne-Laure Faubert
Par contraste, Saint Jérôme écrivant, vers 1605, nous montre une image émouvante de la vieillesse. Un intérêt partagé par ses contemporains puisqu’on retrouve dans l’œuvre d’Orazio Gentileschi, ce Saint, peint d’après le même modèle que Caravage, un pèlerin septuagénaire. L’œuvre du Caravage apporte une peinture équilibrée par le crâne à gauche et la lumière sur la tête chauve du Saint à droite. Le Saint est représenté dans une iconographie traditionnelle: il traduit la Bible de l’hébreu en latin avec une précision reprise par Caravage. Il en résulte une œuvre directe, simple à comprendre tout en étant sophistiquée.
Saint Jérôme d’O. Gentileschi – vers 1611 Photo: Anne-Laure Faubert
Cette exposition est également l’occasion de découvrir des sujets classiques de la peinture religieuse comme Les Pèlerins d’Emmaüs et Ecce Homo et de comparer les approches du Caravage et de ses contemporains. Elle nous apprend aussi que Caravage aimait beaucoup la peinture de Carache, à l’opposé de la sienne, car lente et précise, annonçant le classicisme du XVII° siècle. Ces deux peintres ont collaboré pour les œuvres des églises Santa Maria del Popolo et la conversion de Saint Matthieu de Saint Louis des Français. Libre à vous pour conclure de vous interroger sur les deux versions de Madeleine en extase proposées dans la dernière salle et dont une version n’a été découverte qu’en 2016. Sont-elles toutes les deux du Caravage  ou l’une de son atelier et retouchée par le maître? Anne-Laure FAUBERT   Caravage à Rome, amis et ennemis – Musée Jacquemart André jusqu’au 28 janvier 2019

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