Roméo et Juliette de R. Noureev : l’individualité face au groupe

 Dès le prologue le ton est donné : la mort rode sous la forme d’un convoi de moines transportant des cadavres – pestiférés? – digne d’un tableau du Moyen-âge. Une question surgit pour les connaisseurs de Noureev : retrouvera-t-on cette scène à la fin (cf. mon analyse sur le Lac des cygnes  ) ? Tout comme ces 4 hommes chauves qui apparaissent dans leur longue cape noire…

Tout ceci semble cependant n’être qu’un songe sur lequel veille la statue de Giovanni Acuto, inspirée d’une fresque d’Uccello : dans un décor très Renaissance, un jeune homme fait la cour à une damoiselle. Roméo et Juliette ? Non Roméo et Rosaline.

Le premier acte voit l’affrontement des Capulet et des Montaigu d’où se détachent quelques individualités : Roméo (Mathieu Ganio), Tybalt (Stéphane Bullion) et sa haine, Mercutio (Mathias Heymann) et son entrain… Les scènes de groupe dominent : querelles des serviteurs des deux familles dans la scène une, les jeux de Juliette (Laetitia Pujol) et de ses amies dans la scène 2 alors même qu’on lui présente son fiancé Pâris, le bal dans les scènes 3 et 4. Ce n’est que lors de la rencontre entre Roméo et Juliette que ces deux individualités se distinguent. Techniquement, Mathieu Ganio est parfait, tour à tour entreprenant avec Rosaline, bon camarade avec ses amis… et amoureux. Quant à Laetitia Pujol sa danse est très aérienne et souple, avec cependant parfois des expressions un peu trop marquées. Elle fait partie des danseuses dont on reconnaît tout de suite le style. 

Je ne commence personnellement à accrocher qu’à la fin de cet acte, lorsque Roméo, caché dans le jardin des Capulet, attend Juliette. Les pas de deux sont magnifiques. C’est d’ailleurs ce que j’ai préféré dans ce ballet : la danse des deux amants. 

L’acte 2 voit le mariage secret des amoureux par le père Laurent, la rixe entre les deux familles sous la houlette de Tybalt, qui en tuant Mercutio (mise en abyme très réaliste lorsque personne ne comprend que celui-ci ne joue pas la comédie mais agonise réellement). Roméo est alors contraint de tuer Tybalt et de s’exiler à Mantoue. Cette mort fait sortir Lady Capulet de l’ombre, interprétée par l’étoile Delphine Moussin, qui jusqu’à là se contentait dans ce ballet de tenir sa robe d’un geste ample. La réaction de Juliette est également très bien dansée, entre fuite devant la réalité et douleur. En l’espace d’un acte, les amoureux sont passés de l’insouciance à la marche vers la mort.

L’acte 3 voit le dénouement : songe de Juliette de ses noces avec la mort, stratagème du père Laurent face à la volonté de la jeune fille de se tuer pour éviter son mariage avec Pâris, meurtre du père Laurent et mort des deux amants.

La fluidité et la beauté des pas de deux m’ont beaucoup touchée. La boucle semble en partie terminée dès la fausse mort de Juliette : le cortège des pleureuses rappelle la scène du début. Les quatre hommes chauves réapparaissent après la mort des héros… L’histoire est terminée, le groupe a broyé la volonté individuelle des deux amants.

 On retrouve dans toute la chorégraphie des allusions à l’homosexualité du chorégraphe : jeu d’épée, danses à deux, baiser sur la bouche de Tybalt à Roméo – je n’ai pu m’empêcher de penser alors à l’iconographie du baiser de Judas. Je n’ai pas toujours compris certains passages comme le pas de quatre entre les parents Capulet, Pâris et Juliette. Les seconds rôles interprétés par Stéphane Bullion (Tybalt) et Mathias Heymann (Mercutio) sont, à quelques imprécisions près, très bien interprétés. La Nourrice (Ghyslaine Reichert) est vraiment très drôle.

Des questions demeurent toutefois : quel est le rôle de l’enfant qui apparaît de temps en temps? Au-delà de suivre les Capulet ou de porter la cassette de Pâris, représente-t-il le nain qu’on trouve dans les cours de la Renaissance ou a-t-il une autre signification ? Il y a souvent un innocent dans les opéras russes. Noureev s’en est-il souvenu ? Qui sont ces 4 hommes chauves ? A la lecture du livret, j’apprends que ce sont des joueurs de dés symbolisant le destin. Reste l’enfant…

Un ballet parfois un peu long et théâtral dans les scènes de groupe, magnifié toutefois tant par les décors inspirés du Quattrocento que les costumes et la musique de Prokofiev. Il manque un « je ne sais quoi » pour en faire un chef d’oeuvre.

3 réflexions sur “Roméo et Juliette de R. Noureev : l’individualité face au groupe

  1. Bonsoir,
    Je ne suis pas d’accord sur un point: « les expressions un peu trop marquées ».
    C’est le ballet selon moi qui veut ça, tout est dans l’excès!

Laisser un commentaire