L’exposition Juifs et musulmans, de la France coloniale à nos jours, qui vient d’ouvrir au musée national de l’histoire de l’immigration, apporte une vision nuancée sur près de deux siècles d’histoire commune entre les Juifs d’Afrique du Nord et les Musulmans. Elle reste toutefois en surface à partir de la création de l’Etat d’Israël, tant le sujet demeure sensible.

judaïsme, Paris. Photo © mahJ / Christophe Fouin. © Adagp, Paris, 2022
A la veille de l’expédition d’Alger (1830) la France métropolitaine compte environ 700 000 juifs, soit 0,2% de la population française totale. Citoyens depuis 1791, leur culte est officiellement reconnu en 1808 comme l’un des trois cultes professés par les Français, aux côtés du catholicisme et du protestantisme. Concernant l’Islam, dont le nombre de fidèles s’élève alors en France à près d’un millier d’individus, il n’existe alors pas d’institutions à l’image des consistoires israélites.

France, 1793, dessin : Jean Démosthène Dugourc, gravure sur bois, couleurs au pochoir. Collection & © Musée Français de la Carte à Jouer de la ville d’Issy-les-Moulineaux/F. Doury
En 1832 l’ambassade française au sultan du Maroc à laquelle a participé Delacroix a pour interprète Abraham Benchimol (dont la famille apparait ensuite dans les tableaux du peintre). Le Sultan exige en effet que son interprète ne soit ni étranger ni chrétien. Eugène Delacroix, dans son tableau final, exclut les Occidentaux, dont l’interprète juif, l’extrayant ainsi du monde oriental. Cette anecdote traduit déjà les relations complexes que peuvent avoir les Occidentaux par rapport à l’Afrique du Nord. Le rôle des interprètes demeure par la suite crucial et l’interprétariat devient une voie d’accès individuel à la citoyenneté française, tant pour les musulmans que pour les juifs d’Algérie avant 1870.
L’abolition du statut de dhimmi par l’armée française dès 1830 en Algérie place les Juifs et les musulmans sur un pied d’égalité, car désormais tous « indigènes ». En 1856, c’est au tour du bey de Tunis de l’abolir alors que le Maroc le fera… en 1956.

En 1870, le décret Crémieux octroie collectivement la citoyenneté française aux 35 000 Juifs des départements d’Algérie, mais non aux 3 millions de musulmans dont le statut d’indigène, aux droits civiques et juridiques limités, ne change pas. Originaire de Provence, et appartenant à la communauté des Juifs dits du Pape, Adolphe Crémieux (1796-1880) connait mal le Maghreb. En recherchant l’égalité des juifs de France, qu’ils habitent en métropole ou dans les départements algériens, il consacre un processus d’assimilation au modèle français amorcé dès les années 1830 et entraine des réactions hostiles tant chez les Européens d’Algérie que chez les musulmans qui, eux, restent « citoyens de seconde zone ». Cette différence de statut n’est pas ensuite déclinée en Tunisie et au Maroc, où la France s’impose en 1889 et 1912.
La première guerre mondiale voit l’engagement des deux communautés dans le conflit, par la mobilisation pour les Juifs algériens, et la circonscription obligatoire pour les indigènes musulmans. Les premiers voient cet engagement comme une démarche d’affirmation tandis que les musulmans d’Algérie plaident pour l’égalité de leurs droits. L’entre deux guerres, avec la montée des nationalistes du monde arabe et la progression du sionisme creusent l’écart entre les deux communautés, se traduisant notamment en 1934 par le massacre de Constantine. Pendant la guerre d’Algérie, le fossé s’agrandit entre les deux communautés. Devenus français depuis plusieurs générations, et malgré l’abrogation du décret Crémieux sous Vichy, les Juifs d’Algérie sont majoritairement en faveur de la présence française en Algérie. En 1962, les indépendances et les politiques de l’accueil voient « l’invention du Séfarade et de l’immigré maghrébin ». La France est aujourd’hui le pays d’Europe qui compte les populations juive et musulmane les plus importantes du continent.

Outre l’aspect historique important, l’exposition Juifs et musulmans, de la France coloniale à nos jours propose une scénographie qui fait la part belle à la déambulation et n’oublie pas les échanges culturels importants entre ces deux communautés comme le couple Marie Soussan et Rachid Ksentini, membres du premier orchestre andalou El Mouribia qui évolue vers le théâtre. Elle montre également, par des extraits de films, documentaires et photographies la vie de deux quartiers populaires – Belleville et Sarcelles – et les aspirations communes d’une jeunesse qui ne côtoie pourtant pas.
Anne-Laure FAUBERT
Juifs et musulmans, de la France coloniale à nos jours
Musée national de l’histoire et de l’immigration – Palais de la Porte dorée
Jusqu’au 17 juillet 2022