Si le peintre russe Ilya Répine (1844-1930) est souvent comparé à Leon Tolstoï pour leur importance conjointe dans le domaine de la peinture et de la littérature, on y décèle aussi par sa peinture réaliste et sa capacité à dépeindre l’âme humaine un soupçon prononcé de Dostoïevski… Sa méconnaissance à l’étranger tient notamment au fait que peu de peintures sont exposées en dehors de Russie et qu’il finit sa vie en exil volontaire.

L’exposition Ilya Répine (1844-1930), peindre l’âme russe forme, avec La Collection Morozov à la Fondation Louis Vuitton la saison russe parisienne de l’automne, les différents protagonistes étant d’ailleurs issus de familles de serfs et ayant réussi chacun dans leur domaine.
Première rétrospective française consacrée au peintre, l’exposition Ilya Répine (1844-1930), peindre l’âme russe au Petit Palais nous plonge d’emblée dans une certaine atmosphère slave avec un extrait du film en noir et blanc Ivan le Terrible d’Eisenstein.
Né en 1844 à Tchougouïev en Ukraine dans une famille de serfs, Ilya Répine peint d’abord des icônes avant d’être envoyé par son père, qui possède quelques subsides, à l’Académie impériale des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg en 1864. Associé au courant réaliste, il rejoint ensuite le groupe des Ambulants, issu de la « Révolte des quatorze » qui refuse le sujet mythologique imposé au concours et réclame un sujet russe moderne. Leur chef de file est Ivan Kramskoï ( 1837-1887) et les peintres peignent de façon réaliste, se voulant le reflet de la vie du peuple et de ses préoccupations. La première œuvre majeure d’Ilya Répine, Les hâleurs de la Volga (1870-1873) assoit sa réputation et montre le basculement de la peinture russe vers une certaine modernité.
En 1871 Ilya Répine s’installe pour 3 ans à Paris à Montmartre et fréquente la communauté artistique russe de Paris, animée notamment par Ivan Tourgueniev. Il aborde l’orientalisme et est séduit par la modernité des peintres français et l’émergence du courant impressionniste. Il découvre la peinture en plein air en Normandie, sous la direction du paysagiste Alexeï Bogolioubov (1824-1896). Il revient par la suite à plusieurs reprises à Paris, notamment pour l’exposition universelle de 1900 dont il est à la fois un exposant et un membre du jury.

Ilya Répine est par ailleurs un des portraitistes les plus connus de son temps, malgré un réalisme sans concession. Si les portraits de ses enfants ont un côté charmant et rappelle la peinture française, ceux du Tsar Ivan le Terrible ou de la Tsarevna Sofia Alexeïevna montrent toute la fureur et la stupeur des protagonistes. Par l’usage de son clair obscur et sa désacralisation de la famille impériale il m’a rappelé Le Caravage, notamment lorsque ce-dernier prend pour modèle une prostituée pour peindre la mort de la Vierge Marie. Chez Répine la Tsarevna pourrait être n’importe quelle femme furieuse, l’apparat disparait au profit des sentiments. « Peindre l’âme russe » implique également un choix des œuvres davantage axé sur les portraits que sur la nature, ce qui peut décevoir la communauté russophone amatrice de celle-ci (remarque de Monsieur: « où sont les paysages de Répine »).

La peinture d’Ilya Répine ne laisse pas indifférent, elle émeut l’âme, vous oblige à vous arrêter sur le rôle des protagonistes du tableau – que vient faire cet homme à cheval qui fouette les passants dans le cortège religieux ? – sur la pauvreté des personnages sans tomber dans le misérabilisme. Cette peinture vous prend parfois à la gorge par certains détails, sans tomber ni dans le vulgaire ni dans le pathos. La profondeur de l’âme russe, et humaine, se dévoile sous ses traits.
Anne-Laure FAUBERT
Petit Palais – Jusqu’au 23 janvier 2022