Si les journées du patrimoine sont désormais bien connues, il en existe une version féminine depuis 2015, les journées du matrimoine. Était-il nécessaire de dissocier le nom? Tel n’est pas mon propos; mais davantage celui d’avoir pu découvrir non loin de chez moi un immeuble réalisé par l’architecte d’origine russo-polonaise Adrienne Gorska (1899-1969), lors d’une balade culturelle conduite par Léa Samson et Rossella Gotti, architectes et cofondatrices de MéMO, Mouvement pour l’équité dans la Maîtrise d’oeuvre et suivie d’une performance de Jutta Mayer, danseuse et chorégraphe.
Née en Russie d’un père russe et d’une mère polonaise, Adrienne Gorska est issue d’une famille aisée qui fuit la révolution russe de 1917. Arrivée en France en 1919 elle est une des premières femmes en France à obtenir en 1924 le diplôme d’architecte de l’Ecole spéciale d’architecture de Paris. Elle a pour professeur Robert Mallet-Stevens et son influence se ressent dans les débuts de son œuvre. En 1922 elle propose au Salon d’automne un projet de devanture de magasin de pianos qui est remarqué par la critique. On y ressent l’apport du Bauhaus fondé en 1919 avec la volonté d’aller à l’essentiel et l’absence de superflu.
En 1930, elle réalise un projet très remarqué : l’aménagement de l’appartement de sa sœur, la peintre Tamara de Lempicka dans un immeuble de Mallet Stevens. Cet appartement duplex est une galerie de représentation dont elle dessine tout le mobilier, influencé par Charlotte Perriand.
Elle s’associe également à la peintre Sarah Lipska (1882-1973) pour la demeure de Barbara Harrisson à Rambouillet dans les années 1930.

En 1931, alors que le mouvement moderne et le style international commencent à occuper une place majeure en Europe, Adrienne Gorska se lance dans l’un de ses projets phares : un immeuble de rapport à Neuilly-sur-Seine au 3 rue Casimir-Pinel. L’architecte a pour objectif de faire entrer un maximum de lumière en augmentant la surface de façade et en utilisant des formes simples qui rendent le bâtiment très lisible (comme les deux noyaux de circulation qui dépassent en toiture). Adrienne Gorska intègre également la nature avec des séjours orientés sur un îlot arboré et le Sud, et l’automobile, preuve de modernité, avec des parkings fonctionnels. Elle utilise des matériaux modernes comme le béton. Elle place les chambres de service au rez-de-chaussée à la fois car elle considère que la vue est plus belle dans les étages élevés, mais également pour que les domestiques échappent à la surveillance de leur employeur quand ils sortent. Elle intègre également un ascenseur de service (et non un escalier) et casse ainsi les codes de l’espace bourgeois conçus pour être servis par des domestiques et non par la maîtresse de maison. Les appartements avec gradins rappellent l’œuvre d’Henri Sauvage. Construit au début de sa carrière, il a marqué un tournant important dans sa vie car il s’agit du premier projet de grande ampleur qu’elle réalise seule et où elle révèle son style et son talent.
Véritable manifeste de l’architecture d’Adrienne Gorska, cette réalisation témoigne de son rôle primaire dans le mouvement moderne en architecture. Grâce au succès de cette construction, elle est conviée en 1932 à rejoindre l‘Union des artistes modernes qui réunit les figures majeures du mouvement moderne.
Adrienne Gorska passe son permis en 1935, et réalise dans des années 1930 des salles de cinéma dédiées à l’information. En 1937, Arlette Barret-Despond et Mel Byars affirment qu’elle aurait réalisé le pavillon de la Pologne de l’exposition Internationale des arts et des techniques de la Ville de Paris. Cependant, le catalogue officiel de l’exposition ne mentionne pas son nom. En 1939, elle reçoit la Légion d’honneur et part pour la Pologne afin de créer un cinéma et un appartement. Ellle rentre avec son mari et sa nièce juste avant la guerre. Elle décède en 1969 à Beaulieu-sur-Mer.
Aimant beaucoup l’architecture, j’ai apprécié de connaître l’histoire de cet immeuble et son côté novateur dans l’histoire de l’urbanisme, surtout qu’on peut passer devant sans y prêter attention. Certaines de ses idées ont été reprises par la suite comme la fin des chambres de service en étage élevé et les pièces « nobles » du côté ensoleillé. Concernant l’îlot de verdure, il s’inscrit pour moi dans les « cités jardins » du début du XX°s venues d’Angleterre avec cette volonté d’intégrer espaces verts et urbanisme.
Anne-Laure FAUBERT